La communication

En fait, je crois que ma modélisation de la conversation est à plusieurs niveaux.

Déjà, le langage est piégé. Le dictionnaire est piégé. Si je te dis Audi, à quoi penses-tu ? Tu peux penser par exemple à : - voitures puissantes - voiture de riches - jolie femme la première association pourrait être tirée de Wikipédia. La deuxième ressemble déjà plus à un jugement. La troisième association a probablement été implantée dans ta tête par des publicitaires. Si je te dis Jean-Marie, il est possible qu'apparaissent dans ta tête des associations implantées par des politiques. Notre dictionnaire personnel est fortement pollué par des manipulateurs.

Deux personnes utilisent le même langage mais n'ont pas le même dictionnaire. Une partie du dictionnaire est constituée d'associations plus ou moins fortes, plus ou moins inconscientes. Il y en a un qui a dit « l'inconscient a une structure de langage ». En fait, c'est une partie du dictionnaire qui est inconscient, mais qui est là quand même.

En plus, deux personnes n'ont pas le même paysage mental, n'ont pas la même représentation conceptuelle du monde, et ne sont pas positionnées de la même manière dans ce paysage. Par exemple, une personne peut discuter pour essayer d'établir des faits et se rapprocher de la vérité, alors que l'autre personne peut se battre contre l'autorité de la première et lui balancer des cocktails Molotov pour essayer de détruire son argumentation. Si je crois que nous jouons à la pétanque et si tu crois que nous jouons au tennis, la conversation va mal se passer.

Parfois, les linguistes peuvent repérer ces différences de représentation conceptuelle. J'ai un ami qui essayait d'expliquer à sa copine hollandaise le mot « frimer ». Non seulement le mot n'existe pas en hollandais, mais le concept non plus. En français on dit la police me recherche. En anglais on dit The police are after me. En anglais, la police n'est pas une notion abstraite, ce sont des gens.

La représentation conceptuelle du monde agit comme un filtre dans la perception de la réalité. Par exemple, si tu emmènes plusieurs personnes voir un groupe de zèbres au père tranquille, ils ne verront pas la même chose. Si tu emmènes disons un psy, un flic, un médecin, un taliban et une japonaise, leurs perceptions de la réalité ne sera pas la même, et ils ne te décriront pas la même chose. Leurs vérités seront différentes. Si le taliban essaie d'expliquer ce qu'il voit à la japonaise, il aura déjà du mal à se faire comprendre, alors qu'ils regardent le même groupe de zèbres. Mais si le taliban essaie d'expliquer une idée qu'il a dans sa tête, une image qui n'existe que dans son paysage mental, il y a fort à parier que la communication sera très difficile.

En plus, pour reprendre l'analogie avec les bateaux en mouvement, mon paysage mental et ma météo interne se modifient au fil du temps. Si je me relis plusieurs années après, j'aurais du mal à me remettre dans l'univers mental qui était le mien à cette époque-là pour me comprendre pleinement.

La réalité ne peut pas être perçue et pensée sans le support d'un système perceptif et d'un univers conceptuel. Elle n'est pas accessible directement. La réalité de ma chambre n'est pas la même pour moi et pour le moustique. Ce qui est vrai pour moi est différent de ce qui est vrai pour lui. Nos vérités sont différentes. Il se pourrait que la recherche de « la vérité » soit vaine.

Certains zèbres, constatant qu'ils sont entourés majoritairement d'abrutis, développent un univers conceptuel interne original voire sévèrement barré. Discuter avec eux, pour visiter leur univers mental, équivaut parfois à la visite commentée d'un monde artificiel.

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