Durée d'une psychanalyse

Je tourne autour de la question suivante : pourquoi une psychanalyse dure-t-elle si longtemps ? Il semble que certaines personnes règlent en quelques mois, en faisant une grosse crise existentielle 1), ce que d'autres mettent des années à régler chez le psy (freudien, jungien, lacanien ou autre, mais en mettant à part les psys TCC, qui ont l'air d'obtenir des résultats beaucoup plus rapidement).

Voici l'état actuel de mes réflexions, qui tournent autour d'anciennes théories. Déjà, la théorie de l'évolution comme cause du besoin de savoir2) :

Imaginons deux groupes d'hommes primitifs, le premier qui fait de la cueillette et qui se contente de jouir de la vie, et le second qui se pose des questions métaphysiques du genre pourquoi le ciel est bleu, et pourquoi l'eau coule vers le bas. Au fil du temps, le deuxième groupe en finira par découvrir la pénicilline et inventer le grille-pain et l'Airbus A380.
Le fait d'aimer se poser des questions, de chercher à comprendre comment fonctionnent des trucs compliqués, et de chercher à les réparer, constitue un avantage du point de vue de la sélection naturelle. Aujourd'hui, les hommes aiment bien bricoler et réparer des trucs.
Non seulement la sélection naturelle pousse l'homme à se poser des questions, mais elle le pousse aussi à trouver des réponses. Si un homme n'a pas de réponse à une question, il ressent une angoisse, une douleur.
Il s'intéresse alors aux systèmes explicatifs les plus vastes possible, à ceux qui prétendent tout expliquer, y compris par l'argument ultime « c'est la volonté de Dieu », « les voies de Dieu sont impénétrables », etc. Le fait d'avoir la réponse à ses questions fait cesser l'angoisse. La religion est l'opium du peuple.
La mort des anciennes religions pousse l'homme moderne à se tourner vers d'autres croyances, d'autres morales telles que la lutte contre le sida, la CGT ou la lutte contre le réchauffement climatique.

Donc l'homme a besoin de savoir, et s'il n'a pas la réponse à une question, il ressent une angoisse, une douleur. C'est par construction, par sélection naturelle.

Après, il y a mes théories sur le fonctionnement du cerveau :

Le cerveau est une machine à prédire l'avenir à échéance de 20 ou 30 secondes : quand je pose mon pied, il s’attend à rencontrer le sol à tel moment, quand je tends la main vers la poignée de porte de ma chambre, je m'attends à ce qu'elle soit horizontale
Et si la réalité ne correspond pas à ce qu'avait prévu mon cerveau, si mon pied bute trop tôt, ou si quelqu'un, un farceur, s'est amusé à remplacer la poignée de porte par une poignée ronde, mon processus inconscient de prédiction de l'avenir s'en rend compte, il détecte les écarts entre ce qui a été prédit et ce qui est ressentit, et j'en prends conscience.

Donc en fait, l'homme n'a pas envie de connaître, d'avoir des explications, mais a envie de savoir comment ça marche, comment ça se modélise, pour pouvoir prévoir l'avenir. Connaître le monde, et le prévoir, c'est le dominer, augmenter sa probabilité de survie. La machinerie de prédiction ne sert pas à dire l'avenir à long terme, elle sert à savoir ce qui est normal (i.e. conforme à la prédiction), et ce qui ne l'est pas (ce qui attire l'attention de la conscience). Détecter ce qui est anormal permet de repérer les risques. Etre capable d'identifier les risques est fortement favorisé par la sélection naturelle.

Une amie dit :
T'est il déjà arrivé de voir une forme au loin et de ne pas arriver à comprendre ce qu'elle représentait ? Tu n'es pas en danger, tout va bien pour toi, mais tu es juste incapable de comprendre ce que tu vois. Et là…l'angoisse. C'est quoi ce truc ? Un instant de flottement, quelque seconde ou ton répertoire d'image ne trouve pas de correspondance. Et puis la délivrance…ah!!! oui….
c'est un chien, une poubelle, un tas de carton…bref…un truc que tu as dans ton répertoire…oufff…..
Mais il y a une deux trois secondes de flottement. Des secondes ou ton esprit n'a pas compris. Là tu te rends compte de ce besoin vital de comprendre ce qui t'entoure.

Luc dit :
oui. la peur de l'inconnu, de l'imprévisible (in-prévisible parce que non connu).

Après, il y a ce que m'a dit ma psy TCC : pour l'enfant, les schémas servent à rendre le monde prévisible. Et après, l'enfant traine ses schémas : schéma d'abandon, de carence affective, d'abus / méfiance, d'isolement / exclusion sociale, de sacrifice de soi, etc. Des croyances, et des schémas de comportement, souvent inconscients.

Et la question est : pourquoi la psychanalyse est elle aussi longue ? pourquoi faut il rester si longtemps en analyse avec un psy, pendant des années, pour se désencastrer de son positionnement par rapport au monde, pour se défaire de ses schémas de départ, pour retrouver de la fluidité et pouvoir aller dans un autre endroit ? Réponse : parce que se défaire de ses schémas, de ces visions du monde, de ces a priori et pseudo explications, suppose que l'on puisse accepter de renoncer à des explications, que l'on puisse affronter l'angoisse de l'inconnu, ou suppose d'y aller très doucement, pour s'acclimater à l'idée qu'on pourrait peut être bien bouger sans se faire mal.

Ceux qui font une crise existencielle grave, une psychose maniaco-dépressive, un pétage de plombs qui leur permet voire les force à changer de positionnement, à renoncer à leur câblage foireux et à leurs croyances, et les amènent à la phase 4 de Dabrowski, où c'est eux qui décident de leur système de valeurs et de ce à quoi ils croient, ont bien de la chance. Ils font l'économie d'années de psychanalyse. Pour ceux qui sont déjà complètement en crise, avec beaucoup de malaise, de stress et d'angoisse, le fait de remettre en cause des schémas obsolètes ne peut pas rajouter beaucoup d'angoisse supplémentaire, et est donc moins coûteux que pour une personne équilibrée.

S'arracher à ses anciennes croyances, à ses postures habituelles face au monde, à sa vision du monde et de soi, est difficile parce que l'évolution nous a amené à désirer fortement d'être capable de modéliser le monde pour pouvoir le prévoir et survivre, à comprendre le monde ou au moins à en avoir une vision, même fausse, mais cohérente. Nous sommes accros à notre vision du monde, nous en sommes dépendants, il n'y a pas que la religion externe qui soit l'opium du peuple, notre système de valeurs et de croyances interne est également addictif, et les remises en cause de ce système génèrent automatiquement de l'angoisse, de la douleur, et une urgence à reconstruire un autre référentiel pour comprendre et agir.

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